François Asselineau 🇫🇷 @f_asselineau

Suite à l’écrasement du Japon sous les bombes nucléaires de Hiroshima et Nagasaki, le vainqueur américain, après un instant d’hésitation, décida de ne pas imposer une "République japonaise" pour ne pas s’aliéner à jamais l’estime du peuple nippon. Truman et Mac Arthur décidèrent plus subtilement de conserver l’Empire du Japon, mais en retirant au détenteur du "Trône du Chrysanthème" son statut divin.

Le 1^er janvier 1946, dans un discours extraordinaire diffusé à la radio, l’empereur Hirohito prononça un "Rescrit impérial" -largement inspiré par les autorités américaines d’occupation- intitulé "Déclaration d’humanité" (en japonais : Ningen-sengen 人間宣言).

Par ce texte sans précédent historique, l’empereur du Japon, qui était vénéré jusqu’alors comme une divinité vivante qu’il était interdit de toucher, d’entendre et même de regarder, déclara que ce n’était pas exact : il n’était pas un Dieu vivant.

Voici l’extrait capital de ce discours :

⛩️« Les liens entre Nous et Notre peuple ont toujours été fondés sur la confiance et l’admiration mutuelles. Ils ne sont en aucune façon des produits de mythes et de légendes. Ils ne sont pas fondés sur l’illusion que l’Empereur serait un Dieu présent [akitsumikami], que le peuple japonais serait différent des autres peuples, et qu’il aurait pour mission de gouverner le monde. »

Même s’il subsista des différences d’interprétation entre Américains et Japonais, notamment sur le sens exact du mot "akitsumikami", et que la tradition Shinto ne renonça jamais à considérer Hirohito comme le descendant en ligne directe de la Déesse du Soleil Amaterasu, ce texte fut interprété comme la renonciation par l’empereur à son statut de Dieu à forme humaine.

Plus concrètement, l’effet décisif de ce rescrit impérial se fit sentir dans la nouvelle Constitution japonaise promulguée le 3 mai 1947.

L’empereur du Japon y a perdu tout pouvoir politique. Il est désormais constitutionnellement « le symbole de l’État et de l’unité du peuple ». Seuls ses descendants mâles peuvent lui succéder sur le Trône du Chrysanthème par ordre de primogéniture.

Depuis 1946, l’empereur du Japon n’a donc plus qu’un rôle symbolique et une existence quasi-monacale, bien plus contrainte et codifiée encore que l’étiquette de la Cour britannique.

🇯🇵 Le "Tenno" (littéralement 天皇, "Souverain céleste") est actuellement Naruhito. Il est le 126^e empereur du Japon, issu de la lignée Yamato censée régner sur le Japon depuis l’an -660 av. J.-C.

Cela en fait officiellement la plus ancienne dynastie régnante en exercice dans le monde, puisqu’elle serait donc apparue à l’époque

– du pharaon égyptien Psammétique I^er de la XXVI^e dynastie (saïte),

– du roi assyrien Assurbanipal,connu aussi sous le nom de Sardanapale, ayant régné à l’apogée de la ville de Ninive

– de la rédaction des premiers textes bibliques (Josué, Juges, Samuel, 1^er et 2^e Livre des Rois)

Naruhito est le fils aîné de l’empereur Akihito (qui a abdiqué le 30 avril 2019 et vit toujours), lui-même fils aîné de l’empereur Hirohito.

Il ne s’exprime quasiment jamais en public.

Ni lui ni sa famille la plus proche ne sont libres de leurs mouvements. Ils ne peuvent sortir du Palais Impérial de Tokyo qu’après autorisation et préparation millimétrique de leurs déplacements, faits et gestes par les hauts fonctionnaires de l’Agence Impériale.

C’est devant ce symbole hiératique vivant de l’Empire du Soleil Levant que chaque nouveau Premier ministre, puis chacun de ses ministres, viennent prêter allégeance dans l’une des salles d’apparat, à la sobriété toute japonaise, du Palais impérial.

🏯 C’est ce qui vient de se passer il y a quelques jours avec la nouvelle Première ministre Sanae Takaichi.

Pour la 1^re fois dans l’histoire du Japon, le chef du gouvernement est une femme. Mais, comme le montrent ces images fascinantes, tout le cérémonial muet de soumission à l’empereur semble n’avoir pas changé depuis les siècles des siècles.